Carrés latins, rectangles latins et plan projectifs

PROBLEME COMBINATOIRE

texte du LaboraToile en réponse au courrier de Martine CHAPUIS
14/01/03

Texte du courrier de Martine Chapuis : Ci-joint un problème combinatoire auquel j'ai été confronté en faisant des exercices sur les rectangles latins. Serait-il possible de trouver des ouvrages ou des spécialistes faisnat de la vulgarisation détaillée précisément sur ce problème ?
Avec mes remerciements.

En fait ce problème est équivalent à un grand problème célèbre, dont l'origine remonte à Euler, celui de l'existence de "plans projectifs finis". Cette équivalence nous était inconnue avant le courrier de Martine Chapuis, que nous remerçions. (nous serions d'ailleurs heureux de connaître l'origine des "rectangles latins")


Hélas il n'existe pas, à notre connaissance, de documentation vulgarisée sur cette question :

Signalons un livre récent sur les carrés magiques (mais qui ne va, nous semble-t-il, pas très loin) :
Auteur(s) : Descombes René
Titre : les Carrés magiques Histoires, théorie et technique du carré magique, de l'Antiquité aux recherches actuelles
Editeur : Vuibert Paris, 2000  (descriptif complet
plus loin)

Nous avons aussi trouvé un cours de DEUG de géométrie qui montre comment la recherche actuelle aborde la question : mais c'est très académique ... difficle d'y retrouver vraiment ses petits...

http://www.ceremade.dauphine.fr/~msfr/ens/geo.pdf
site correspondant accessible par http://www.ceremade.dauphine.fr/~msfr/

Ci-dessous nous expliquons la relation entre le problème des rectangles latins et celui des plans projectifs
Espèrons que ces considérations seront compréhensibles et en tout cas qu'elles permettront  d' orienter les recherches documentaires sur cette question.
Les mots-clefs savants pertinents sont

corps finis, (et un peu aussi groupes finis)
géométries finies,
configurations (designs en anglais)
plans affines (finis)
plans projectifs (finis)
carrés gréco-latins
théorème de Désargues

Du rectangles latin au plan projectif

Prenons un rectangle latin à N lignes et n = N^2-N+1 colonnes et donc n symboles.

Exemple (Martine Chapuis)


Appelons "point" chaque symbole.
Associons à  chaque chaque colonne l'ensemble des symboles qui y figure et appelons cet ensemble une "droite". Il résulte des propriétés des rectangles latins que l'on a :les propriétés suivantes pour les points et les droites :

1) Chaque point appartient à N droites
2) Chaque droite contient N points
3) Par deux points différents passe une droite et une seule
4) Deuc droites différentes se coupent en un point et un seul

Ce sont très exactement les propriétés de ce qu'on appelle un plan projectif d'ordre N-1 (exemple rentrant dans la catégorie plus générale des ("géométries finies").

Du plan projectif aux rectangles latins

Réciproquement donnons nous un plan projectif d'ordre q = N-1, c'est à dire un ensemble d'éléments (appelés points) et un ensembles d'ensembles à q+1 éléments (appelés droites) qui vérifient les propriétés 1 à 4 ci-dessus. On montre assez facilement qu'il y a n=q2+q+1 points et  n=q2+q+1 droites.

Il résulte d'un théorème de combinatoire ( le
théorème des mariages) qu'il existe une manière de colorer tous les couples de la forme (P,D), où P est un point et où D est une droite contenant ce point, en respectant les conditions suivantes :

Le nombre de couleurs utilisé est alors, nécessairement q+1.

Désignons les points par des numéros :  1,2,3,..., n les points
Numérotons aussi  les couleurs : 0,1,2,3,...,q.

On peut alors dresser un tableau à q+1 lignes (représentant les couleurs) et n colonnes (représentant les points et aussi les droites) :

On met en ligne n°1 la liste des points : 1,2,3,..., n. Pour chacun de ses points, soit  k, on considère le couple de couleur 0 qui contient ce point , soit (k,Dk). La droite Dk sera l'ensemble des points de la colonne numéro k

Pour tout point P de la droite Dk soit j(P) la couleur du couple (P,Dk). On place alors le numéro du point P en position n° j(P) dans la colonne n° k

On vérifie alors facilement que le tableau ainsi construit est un rectangle latin à q+1 lignes et n colonnes. (A chaque plan projectif correspond ainsi plusieurs rectangles, puisque, pour un ordre des points fixé, à des colorations différentes  correspondent des rectangles diiférents).

Plans projectifs et carrés latins

On peut associer à un plan projectif d'ordre q des carrés latins d'ordre q  de la manière suivante.

On fait jouer aux deux points 0 et q un rôle particulier : les droites D(0,j) (j variable) vont constituer les lignes d'un tableau carré, les droites D(q,k) (k variables) les colonnes. Nous noterons P(j,k) point d'intersection des droites D(0,j) et D(q,k).

A chaque entier i = 1,2,...,q-1  on associe un carré latin Li à q lignes et q colonnes en mettant dans la case (j,k) de ce carré (j-ème ligne et k-ème colonne) le numéro de la droite passant par i et par le point P(j,k).

On remarque que deux à deux ces carrés latins L1, L2, ..., Lq-1 sont "orthogonaux", c'est à dire que si on les superpose, on voit apparaitre chaque couple de numéros  (a,b) une fois et une seule. (Un tel couple de carrés latins orthogonaux est connu sous le nom de carré gréco-latin)

Exemple avec q=3  

123        132
231   et   213
312        321

sont deux carrés latins d'ordre 3 orthogonaux.

 

Leur superposition :

11  23  32

22  31  13

33  12  21

Inversement, on peut montrer que la donnée de q-1 carrés latins deux à deux orthogonaux permet de construire un plan projectif d'ordre q.

Les plans projectifs sont l'objet de nombreuses recherches. Pour quels ordres existent-ils, on ne sait pas. On connait des constructions de plans projectifs d'ordre q qui utilisent la géométrie des espaces vectoriels finis (de dimension 2) définis sur le corps à q éléments (un corps à q éléments n'existe que si q est un nombre premier ou une puissance  de nombre premier (exemples q= 2,3,4,5,7,8,9,11,13,16,17,...). Ces plans sont désarguésiens.por q>2 (voir définition plus loin)  On connait aussi quelques exemples non désarguésiens, avec des  constructions différentes.

Euler a montré qu'il était impossible de trouver deux carrés latins orthogonaux d'ordre 6 (problème connu sous le nom de problème des 36 officiers : ils proviennent de 6 régiments différent et représentent les 6 grades possibles de l'armée ;on aurait voulu les disposer en carré de manière que dans chaque rangée (ligne ou colonne), le grades soient différents et les régiments aussi).

Donc pas de plan projectif d'ordre 6 non plus ! ... et pas de rectangle latin 7x43 !

Euler a conjecturé qu'il était impossible de trouver deux carrés latins orthogonaux d'ordre 4k+2 pour k supérieur ou égal à 1. Cette conjecture s'est avérée complètement fausse : c'est le contraire qui est vrai.

Pourtant, il n'existe pas de plan projectif d'ordre 10 . Cela a été montré en 1985 avec l'aide de l'ordinateur. Donc pas de rectangle latin 11 x 111..

Les recherches continuent pour trouver et construire
des plans projectifs d'ordre supérieur à 10.

Les plans désarguésiens

L'exemple de l'énoncé a des propriétés géométriques intéressantes.

En géométrie classique on a le théorème suivant (variante du théorème de Désargues, pas facile à prouver par le calcul, la démonstration classique par la géométrie consistant à regarder la situation en dimension 3),

Prenons deux droites (D) et (D') sécantes et prenons un point Z hors de (D) et (D')

On  choisit maintenant deux droites passant par Z , coupant respectivement (D) et (D') en A et A' pour la première,  B et B' pour la seconde. On dit alors que le point N , commun aux droites (AB') et (A' B) est  conjugué (harmonique) de Z par rapport aux droites (D) et (D').

Il se trouve que l'ensemble des points conjugués de Z possibles (par rapport aux droites fixes (D) et (D') ) est une droite, que l'on peut appeller la conjuguée (harmonique) de Z par rapport à (D) et (D'). Cette droite est concourante avec (D) et (D').

Un plan projectif pour lequel la propriété ci-dessus est vraie (quelque soit les droites (D), (D') et le point Z n'appartenant ni à (D) ni à (D')) est appelé
désarguésien.

Nous pensons que le plan projectif correspondant à ton rectangle 5 x 21 est désarguésien:

Exemple (évidemment insuffisant pour une preuve, ...). On suit ici  les notations de ton document, les points étant écrits dans l'ordre où ils apparaissent dans le rectangle .

Droites choisies (D)= ABEOQ et (D')= BCFPR  point choisi M

Essai avec les droites (MA) et (MC) :  

La droite (MA) est RSAKM d'où les points de rencontre avec (D) et (D') : A et R
La droite (MC) est TUCMO d'où les points de rencontre avec (D) et (D') : O et C

La droite (AC) est  HILAC
La droite (OR) est  NORGI

On recommence avec les droites (MA) et (MF)

(MA)= RSAKM   -> points  A et R
(MF)= MNQFH  -> points  Q et F
- > (AF)= FGJTA
- > (QR)=QRUJL

On recommence avec les droites (MR) et (MP)

(MR)= RSAKM   -> points  A et R
(MP)= LMPEG   - > points E et P
- > (ER)= DEHRT
- > (AP)= UADNP

Conformément au théorème de Désargues, les points I, J et D sont bien alignés sur la droite IJMBD qui passe, c'est bien normal, par le point B, commun aux droites (D) et (D').


------------------ Un livre récent sur les carrés magiques -----------

Auteur(s) : Descombes René
Titre : les Carrés magiques Histoires, théorie et technique du carré magique, de l'Antiquité aux recherches actuelles
Editeur : Vuibert Paris, 2000
Format : 17,5 cm x 24 cm, 496 p. Bibliogr. p. 483-493
ISBN : 2-7117-5261-5
Type : ouvrage (au sens classique de l'édition),
Langue : Français, Support : papier
Utilisation : enseignant, public cultivé


Résumé :
L'ouvrage regroupe en 38 rubriques 250 études portant sur tous les types de carrés magiques et les constructions les plus classiques apparues au fil des
siècles.
L'auteur familiarise le lecteur avec les conventions, présente les carrés latins, les carrés eulériens ou gréco-latins, avant d'aborder le carré au point de vue
mathématique (propriétés remarquables du carré algébrique ou géométrique). Après un détour par les pavages sont présentées les propriétés
mathématiques des carrés magiques.
Ensuite sont proposées plusieurs méthodes de construction de ces grilles numériques telles que les carrés magiques d'ordre impair ou d'ordre pair, les
carrés magiques associés, les bimagiques et les magiques jumeaux, les hypermagiques et les mosaïques, des carrés magiques particuliers comme les
carrés magiques en progression arithmétique ou impairement pairs ou encore à enceintes accompagnés des divers procédés de construction...
Les derniers chapitres sont occupés d'abord par la présentation de carrés magiques de plus en plus complexes (carrés magiques multiplicatifs, carrés
magiques en progression non régulière) puis par des extensions aux cercles magiques, aux dominos magiques, aux jeux de grille (jeux de société, nombres
croisés... ), aux cubes magiques et enfin à des programmes informatique de construction de carrés magiques.
Dans un des derniers chapitres sont rappelés des formules mathématiques utiles dans certaines méthodes de construction des carrés magiques telles que
le nombre d'arrangements ou de permutations, la somme d'une progression arithmétique ou géométrique.

Notes :
En début d'ouvrage est présent un tableau-résumé des méthodes de construction de carrés magiques présentées dans l'ouvrage. Et en fin d'ouvrage figure
un glossaire.

Cet ouvrage est l'objet d'une recension sous la rubrique "matériaux pour une documentation" le Bulletin de l'APMEP n° 427.

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L A B O R A T O I L E    
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