Je commence à m'intéresser à Math en Jeans en 1990, dès que j'en entends parler. Le principal-adjoint du collège dans lequel je travaille, est très réservé sur la création d'un atelier de mathématiques et j'avoue que je ne me bagarre pas beaucoup pour le faire changer d'avis.
Nommée au lycée Camille Sée à Paris XVème en septembre 96, la première année, je ne tente rien mais l'année suivante, je propose de créer un atelier de mathématiques au grand étonnement des uns et des autres. Mais l'idée fait son chemin.
Parallèlement, je m'intéresse à l'association femmes et mathématiques, et j'y rencontre une collègue, Marie Josèphe Schmitt, du lycée Charles Poncet de Cluses (Haute-Savoie) qui connaît Math en Jeans et veut se lancer. Nous démarrons donc en septembre 98.
Mon Proviseur est d'accord mais le dossier de création d'un atelier scientifique sur l'Académie de Paris doit être déposé à la fin de l'année scolaire précédente. Nous fonctionnons donc sans financement sur Paris, il vaut mieux commencer pendant que la plupart des conditions sont réunies : deux lycées prêts à travailler ensemble et un chercheur Jean-Christophe Novelli du LIAFA de Paris VII.
Dans l'académie de Grenoble, le dossier est déposé et accepté en septembre. Marie-Jo travaille avec un de ses collègues Michel Lamarre.
Une fois la décision prise, l'atelier annoncé, la plus grande difficulté pour moi est de recruter des élèves. Malgré les nombreuses affiches, les nombreuses réunions d'information proposées, il n'y a que deux élèves inscrits, deux garçons en Terminale S. A Cluses par contre, il y a quinze élèves volontaires, filles et garçons, venant de Seconde et de Première S et ES.
D'autre part, un créneau horaire commun n'est pas facile à trouver. Le mercredi après-midi n'est pas forcément une plage horaire très motivante, les élèves ont de nombreuses activités extra-scolaires qui les mobilisent davantage. A Paris, nous choisissons de travailler deux heures le mardi de 16 à 18 heures et à Cluses, comme ils sont deux profs, ils proposent deux plages horaires de une heure trente chacune.
Mes deux élèves travaillent avec un groupe de quatre élèves de Cluses sur les partitions d'un entier.
Les rencontres se font par visioconférences. Pour les Parisiens, nous allons à Villetaneuse, à l'Université Paris XIII. Il y a tout le matériel nécessaire, il est mis gracieusement à notre disposition et Paris XIII paie les communications téléphoniques.
Les Clusiens sont accueillis par la Société CTDEK, une entreprise de décolletage, qui leur prête gracieusement le matériel et les locaux.
Marie-Jo obtient aussi des subventions du Conseil Régional et d'entreprises privées, les journaux locaux parlent de l'atelier de mathématiques du lycée et interviewent Jean-Christophe lors d'un séjour à Cluses.
Nous faisons cinq visioconférences de début octobre à mi-mars. La première visioconférence est un grand événement, c'est la première rencontre. Elle donne aux élèves l'envie de continuer, même si les sujets paraissent ardus. Ils réalisent encore plus qu'ils font partie d'une équipe.
Mes élèves ont des ennuis personnels, familiaux, financiers, tout au long de l'année mais ils ne lâchent pas l'atelier et sont rarement absents.
Pour le congrès, le premier week-end du printemps, les Clusiens arrivent le jeudi et viennent à Camille Sée passer la journée. Nous déjeunons ensemble et travaillons tout l'après-midi.
Les élèves répètent, puis ils nous présentent leurs travaux par groupe.
Les trois profs et le chercheur surveillent la durée des exposés et corrigent le contenu scientifique et la présentation. C'est une journée intense, de dur labeur mais aussi riche en échanges et en progrès.
Le vendredi , les provinciaux se baladent dans Paris avec leurs profs, mes élèves et moi-même travaillons normalement au lycée.
Et le congrès débute le samedi matin. C'est l'effervescence : les retrouvailles, l'installation des posters dans le hall de Paris XIII, les dernières répétitions, les ultimes corrections. Voir tous ces jeunes réunis pour faire des mathématiques est très émouvant, c'est une bouffée d'oxygène pour les profs parfois découragés que nous sommes.
Le congrès dure 3 jours, samedi, dimanche et lundi. J'obtiens une autorisation d'absence pour mes élèves pour le samedi mais pas pour le lundi. Et encore, à contre coeur de la part de certains collègues, même de math !
Le week-end est épuisant mais il émane de ce congrès beaucoup d'enthousiasme, de convivialité, de confraternité comme dirait Marc Legrand. La fatigue ne se fait sentir que la semaine suivante.
Après le congrès, il est difficile de remobiliser les élèves tout de suite mais il ne faut surtout pas attendre trop longtemps si on veut qu'ils terminent la rédaction de leurs travaux afin de les publier. En ce qui concerne mes deux élèves de Terminale S, je n'ai pas réussi après les vacances de Pâques à les inciter à écrire et avec l'approche du bac, ils se sont consacrés à leurs révisions.
A la rentrée 99, le dossier de reconduction de l'atelier est accepté et nous obtenons 2 HSA et une subvention de 1500F.
Ravis par l'expérience de l'année précédente, Marie-Jo, Michel et moi souhaitons continuer ensemble. Et Jean-Christophe aussi, il a déjà préparé les sujets.
Mais impossible de recruter des élèves à Camille Sée. Je multiplie les réunions d'information en variant les jours et les heures. Je sollicite les professeurs principaux de Seconde pour faire passer les informations sur l'atelier. Rien n'y fait. Il s'avère par la suite que le message est mal passé. Certains ont cru qu'il s'agit de cours de soutien et d'autres au contraire que ça ne concerne que les forts en maths.
A Cluses, l'atelier démarre dès la mi-septembre avec une dizaine d'élèves intéressés.
Début octobre, la mort dans l'âme, j'annonce à mes collègues qu'ils vont devoir continuer sans moi et Math en Jeans leur trouvera un autre lycée parisien.
Quant à moi, après les vacances de la Toussaint, je refais une dernière réunion, la réunion de la dernière chance. Et miracle, je peux enfin démarrer un atelier mathématique avec un groupe constitué de six élèves, des garçons de Première S, mais sans être dans la structure Math en Jeans.
Pour la rentrée 2000, mes 6 élèves me sont tout acquis et ils savent que nous allons travailler en jumelage avec Cluses suivant les modalités Math en Jeans.
Notre atelier est répertorié par la cellule " Action Culturelle et Scientifique " du Rectorat de Paris qui nous attribue 3 HSA et une subvention de 2000F.
La chercheuse qui travaille avec nous, s'appelle Caroline Japhet. C'est une toute jeune maîtresse de Conférences de Paris XIII. Elle propose cinq sujets aux élèves de l'atelier, ils se trouvent en annexe.
Nous cherchons aussi à recruter d'autres élèves mais sans succès. A Cluses, il y a neuf élèves volontaires.
Mes élèves choisissent trois des cinq sujets : un élève travaille tout seul sur le tore, trois élèves sur les colliers de perles et deux élèves sur l'aiguille. A Cluses, ils ont choisi le tore et le billard circulaire.
Grâce à une convention signée avec Paris VII, dans le cadre de la liaison enseignement Secondaire-Supérieur, les visioconférences sont entièrement prises en charge par l'université Paris VII. C'est aussi une occasion d'emmener mes élèves sur le campus de Jussieu où ils sont susceptibles de venir faire leurs études universitaires.
A la première visioconférence, le groupe de l'aiguille lâche son sujet, les deux élèves ont pourtant déjà bien avancé mais ils veulent travailler avec des Clusiens sur le billard. Les trois élèves qui ont choisi les perles restent entre eux, ils n'ont pas d'interlocuteurs à Cluses.
A nouveau, cette première visioconférence est un moment important, nous ressortons tous plein d'énergie et d'idées. Et un groupe a complètement changé de sujet pour bien profiter du jumelage. Rendez-vous est pris pour la séance suivante, Caroline se rendra à Cluses.
Pour communiquer en dehors des visioconférences, nous utilisons nos courriers électroniques personnels, éventuellement depuis le lycée, mais nous n'avons pas de boite aux lettres " Club Camille Sée ".
Pendant les vacances de Noël, au cours d'un déjeuner amical, Marie-Jo me propose de venir à Cluses avec mes élèves pendant notre deuxième semaine des vacances de Février quand eux auront repris. L'organisation matérielle, surtout financière, du voyage est très compliquée. Je préviens le Proviseur mais n'ai pas le temps de le faire approuver par le CA. Il s'agit donc d'un voyage privé hors temps scolaire.
Nous sommes hébergés par nos collègues et par les familles de deux élèves. C'est une semaine inoubliable où nous partageons notre temps entre les balades en montagne le matin, les mathématiques l'après-midi et les dîners en commun le soir.
Nous leur suggérons de faire une première présentation pendant que nous sommes tous réunis. On est fin février : ils mesurent tout le travail qui leur reste à faire. Le congrès a lieu un mois après, c'est la fin du temps de recherche , il faut déjà penser à la rédaction et à la présentation. Certains veulent pourtant chercher encore. Cette rencontre à Cluses est très profitable aussi bien du point de vue humain que du point de vue mathématique. Nous en gardons un souvenir très chaleureux. Et pendant tout le trajet du retour, mes élèves n'arrêtent pas de faire des maths entre eux, de me poser des questions au grand étonnement des autres voyageurs qui n'ont jamais vu des jeunes faire des mathématiques avec autant d'enthousiasme.
Mis à part ce voyage, le déroulement de l'année est très similaire à la première expérience décrite. Je ne reprends pas tout.
Et toujours ce temps fort qu'est le congrès, extrêmement important et enthousiasmant pour tous. Ils ont tous surmonté leur trac et sont contents , voire fiers de leur prestation orale devant un auditoire important.
Après ce week-end du congrès épuisant mais passionnant, il est difficile de remobiliser les troupes, ils demandent à souffler. Mais le travail final ne se limite pas seulement aux exposés du congrès, il consiste aussi à publier les travaux en intégralité sur le web, ce qui est un gros travail mais fait partie du contrat de départ. Instruits par l'expérience, nous insistons beaucoup.
De plus, les élèves ont, depuis le début, le projet de créer pour la fin de l'année scolaire une page-web sur l'atelier scientifique et de mettre un lien sur le site du lycée Camille Sée. Ils se tiennent à leurs engagements et vous pouvez consulter le résultat à l'adresse http:/math-as.free.fr.
Questions des participants:
" les sujets posés par le chercheur ne sont-ils pas trop difficiles ? "
Le chercheur propose ses sujets après avoir consulté avec intérêt ceux posés les années précédentes, il en discute avec ses collègues, avec des habitués de MeJ et avec les professeurs des élèves concernés. En principe, il arrive bien à cerner le niveau de difficulté envisageable pour ne pas décourager les élèves mais aussi qu'il y ait matière à chercher.
" comment encadrez-vous les élèves ? "
Pour le prof, encadrer le travail de recherche est le plus difficile. Et effectivement, je n'en ai pas du tout parlé.
Il faut être présent, disponible, attentif mais ne pas trop en dire. D'ailleurs souvent, on en est bien incapable. Nous devons les encourager dans les moments difficiles et leur conseiller de se tourner vers le chercheur quand ils " sèchent ".
Le chercheur aussi a une tâche délicate, il doit être capable de suggérer de nouvelles pistes sans trop en dire et d'avoir un oeil critique sans décourager.
Lors de la deuxième visioconférence, le groupe du tore annonce qu'au début, ils ont trouvé des résultats, fait une superbe maquette pour les aider à visualiser mais que depuis 2 semaines, ils sèchent lamentablement. Caroline leur propose une nouvelle piste de recherche et leur présente la méthode des différences finies. Ils notent tout avec beaucoup de sérieux, les profs aussi. Mais il s'avère qu'ils ne comprennent rien ni de la méthode et encore moins de son utilisation.
Nous avons besoin des trois séances suivantes pour distiller les informations.
Par contre, le travail qui consiste à les encadrer pour la préparation de l'exposé est beaucoup plus simple. Il s'agit de veiller à la qualité de la présentation dans le fond et dans la forme et de surveiller la durée de l'exposé.